mardi 21 septembre 2010

Nouveau rappel à l'ordre!



Dans un rapport publié le 27 août dernier, les Nations-Unies appellent le gouvernement français à ratifier la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail.

Lors de sa soixante-dix-septième session qui s’est tenue à Genève du 2 au 27 août, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a recommandé à l’Etat français de ‘permettre une reconnaissance de droits collectifs aux peuples autochtones, surtout en matière de droit de propriété’ et de ‘prendre les mesures législatives nécessaires en vue de la ratification de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux’. « Ainsi aujourd’hui en Guyane, les Amérindiens, protégés uniquement par des dispositifs juridiques réglementant l’accès à leur territoire, sont menacés par l’orpaillage illégal dont les conséquences socio-environnementales sont ravageuses.»

En Guyane, le combat est mené sans relache depuis des années par les leaders Amérindiens, dont Alexis Tiouka qui avait publié un argumentaire pour la ratification de la convention 169 de l'OIT par la France:



Depuis 1984, date de l’émergence du mouvement de revendication des peuples autochtones de Guyane, ceux-ci n’ont cessé de tenter de faire valoir leurs droits. Pour ce faire, ils ont très vite compris l’importance des instruments juridiques internationaux et la nécessité d’allier un travail au niveau local, régional et national à un travail au niveau international. C’est pourquoi depuis plus d’une décennie, les représentants des peuples autochtones de Guyane développent une participation aux différentes rencontres internationales et se forment aux questions du droit international. A ce titre, la Convention 169 de l’OIT permet d’élaborer des règles et des normes minimales qui devraient être considérées comme un moyen de résoudre les conflits qui opposent, depuis la colonisation, les peuples autochtones du monde – et donc de Guyane – aux Etats. Par conséquent depuis la création de cette convention, les peuples autochtones de Guyane ne cessent d’appeler la France à la ratifier. Il existe en effet dans cette convention certains articles particulièrement importants pour la reconnaissance de leurs droits, et plus spécifiquement pour la reconnaissance du droit à la terre et au territoire dont on sait qu’il constitue le fondement de la revendication autochtone.

Pour les peuples autochtones, la terre est source de survie tant matérielle que spirituelle, leurs « institutions, [leurs] langue[s], [leurs] culture[s], [ont été] élaborées à travers les millénaires en parfaite symbiose avec les lois de la nature. » (Tiouka, 1984). Cette importance particulière de la relation que les peuples autochtones entretiennent avec la terre est reconnue par les divers experts spécialistes de la question autochtone, ils considèrent que la terre constitue pour ces derniers « la base de leur existence physique et spirituelle en tant qu’entité autochtone.» (Réunion des experts sur l’ethnocide et l’ethnodéveloppement convoquée au Costa Rica par l’UNESCO et la Faculté latino-américaine des sciences sociales) Divers instruments internationaux rappellent l’importance du droit à la terre, le Projet de déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le Projet de déclaration de l’Organisation des états américains et l’article 13 de la Convention 169 :

* « Les gouvernements doivent respecter l’importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des peuples intéressés la relation qu’ils entretiennent avec les terres ou territoires, ou avec les deux selon le cas, qu’ils occupent ou utilisent d’une autre manière, et en particulier des aspects collectifs de cette relation. »

La France semble reconnaître ce fait. En effet, dans le cadre des négociations relatives à la création du Parc national de la Guyane, le Gouvernement a exprimé son « souci de préserver le mode de vie des communautés amérindiennes ». De même, lors des discussions du Groupe de travail de 1996 sur la Commission des droits de l’homme des Nations Unies chargé de la rédaction du Projet de déclaration sur les droits des Peuples autochtones, le représentant de la France avait affirmé qu’il était « parfaitement légitime que les populations autochtones aspirent à conserver et renforcer les liens spirituels et matériels qui les unissent à leurs terres. » Mais officiellement, la législation française ne reconnaît aucun droit particulier aux Peuples autochtones au nom du principe d’égalité qui interdit tout distinction basée sur l’origine ethnique. C’est pourquoi les peuples autochtones demandent que soit ratifiée la Convention 169 afin que le droit à la terre et au territoire soit enfin reconnu.

La Convention 169 évoque certains de ces conflits sur la question du droit à la terre et au territoire. Il en va ainsi du problème des relations transfrontalières. Nombre de peuples autochtones de Guyane vivent en effet depuis des millénaires sur des territoires qui ont été au moment de la colonisation séparés par des frontières qui ne tiennent pas compte de cet état de fait. Pour le mode de pensée amérindien, le fait que les Etats aient délimité une frontière entre deux pays (fleuve Maroni à l’Ouest, fleuve Oyapock à l’Est) constitue une aberration. Ainsi, les Kali’na de Guyane sont séparés de leurs frères du Surinam, du Guyana et du Venezuela par des frontières et par des questions de nationalité qui rendent difficiles des échanges familiaux ou économique. Certaines familles sont dispersées d’une rive à l’autre et entretiennent régulièrement des relations familiales et il leur paraît impensable d’avoir à demander un visa pour justifier de ces déplacements. Or, l’article 32 de la Convention 169 reconnaît aux autochtones divisés par des frontières internationales le droit d’établir des relations transfrontalières qui pourraient permettre de résoudre ce problème.

« Les gouvernements devront prendre les mesures appropriées, […], pour faciliter les contacts et la coopération entre les peuples autochtones et les peuples tribaux au-delà des frontières, incluant des activités dans les domaines économiques, sociaux, culturels, spirituels et environnementaux. »

La Convention 169 permet de même de résoudre des problèmes liés à la liberté d’exercer des activités traditionnelles telles que la chasse, la pêche, la cueillette ou la culture sur brûlis ainsi que de décider de son propre développement. Les revendications des peuples autochtones de Guyane sont dans ce domaine assez explicites : ils « n’acceptent pas que leurs droits soient limités à la notion étroite de droits résiduels de chasse, pêche, que leur applique le gouvernement. » (Tiouka, 1984) Or, les articles 7-1 et 15-1 de la convention stipulent que les autochtones ont le pouvoir de décider seuls de leurs priorités en matière de développement « dans la mesure où celui-ci a une incidence sur leur vie, leurs croyances, leurs institutions et leur bien être spirituel et sur les terres qu’ils occupent ou utilisent. » Notons cependant que ces deux articles n’octroient aux peuples autochtones qu’un pouvoir de participation et pas de décision en ce qui concerne l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation « des plans et programmes de développement national et régional susceptibles de les toucher directement. »
Cette convention permet aussi de résoudre un des grands problèmes que rencontrent à l’heure actuelle les peuples autochtones, celui de la délimitation de leurs territoires. La délimitation consiste en un processus qui permet d’identifier l’emplacement et le périmètre effectif des terres ou territoires autochtones et de tracer matériellement ce périmètre au sol. A cet égard, la convention 14-2 de la Convention impose aux Etats l’obligation de « prendre des mesures pour garantir la protection effective de leurs droits à la terre. » L’exécution de cette obligation implique pour les Etats la nécessité d’identifier et de délimiter les terres autochtones et de sanctionner toute intrusion non autorisée sur celles-ci (articles 14-2 et 18).
Enfin, l’article 14-3 permettrait de résoudre un problème crucial, celui de la résolution de la question de la propriété des terres. Il stipule en effet que « des procédures adéquates doivent être instituées dans le cadre du système juridique national en vue de trancher les revendications relatives à des terres émanant des peuples intéressés. »

La signature et la ratification de la Convention 169 de l’OIT permettrait donc de résoudre de nombreuses difficultés que rencontrent les peuples autochtones en Guyane française pour la reconnaissance de leurs droits. Notons cependant pour conclure que si cet instrument est juridiquement contraignant, il ne le sera pour les peuples autochtones de Guyane que dans la mesure où l’Etat français le ratifie dans sa totalité et surtout le prenne en compte dans sa législation nationale. Il restera donc, s’il y a ratification, à mettre en place une campagne visant à amener l’Etat français à prendre en compte cette convention dans la loi française.

Alexis TIOUKA
alexis.tiouka@gmail.com

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